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ENQUÊTE : Fermeture en chaine de librairie, aux origines du phénomène

Dernière mise à jour : 16 sept. 2024

Elles font partie des 20 à 25 000 points de vente répertoriés sur le territoire français, les librairies, qu’elles soient spécialisées ou non, ces magasins, qui historiquement étaient le lieu d’achat du livre à proprement parler, sont confrontés à un problème : des fermetures en chaîne. Pourquoi ces fermetures en chaîne ? Quel avenir pour ces librairies, menacées, comme vous le verrez, par la faillite, victimes des grandes entreprises ? Réponses et solutions dans cette enquête.


Avant de commencer, imaginez vous au Moyen Âge. Le monde est en pleine évolution, et le livre en pleine expansion. Vous vous baladez sur un marché, et vous la voyez. Posée là, devant vous, composée alors d’une table où sont exposées des copies de manuscrits. Vous êtes face à la première librairie. Une sorte d’échoppe où l’on commerce du détail, en particulier le livre. Elle prend alors le nom de "statione". Un point de vente de la connaissance. C’est ainsi que la librairie moderne va se répandre et se démocratiser, de la Renaissance à nos jours, en passant par les XVIIe et XVIIIe siècles. La librairie a toujours fait partie du quotidien.

Elle a su également s’adapter à l’évolution, devenant de plus en plus sédentaire. Vecteur de connaissance et de divertissement, le livre, qui faisait autrefois le bonheur des libraires, est désormais un cauchemar pour certains. Cependant, son évolution est aujourd’hui remise en question, et soumise à un avenir incertain. Comme l’affirme Jean-Dominique Mellot, auteur du Bulletin de la Bibliothèque nationale de France : « L’expérience contemporaine soumise au regard des sociologues livre ici d’intéressantes leçons (Chantal Horellou-Lafarge) ; car si la question du prix du livre, vitale pour la profession, peut être considérée comme réglée en France depuis la loi Lang de 1981, le taux de mortalité des librairies n’en reste pas moins très élevé et leur espérance de vie fort médiocre. Le livre jouit certes d’importantes clientèles captives, clairement et durablement identifiées, mais la librairie ne réussit pas nécessairement à les fidéliser à son bénéfice. »


Le livre, victime de son succès


« Centre-ville déserté : une librairie obligée de fermer », peut-on lire sur le site Actualitté. « Le Coucou qui lit à Valentigney ferme ses portes définitivement après 95 ans d’une saga littéraire et féminine », lit-on sur France Bleu. Vous pouvez faire vous-même la recherche, vous verrez que les librairies ont toutes un point commun : la faillite. Le principal problème auquel sont soumises les librairies, qu’elles soient indépendantes ou membres d’un réseau, est leur capacité à innover. Comme l’explique Pascale Gérard, gérante d’une librairie itinérante : « On a du mal à fidéliser la clientèle, on doit sans cesse innover, trouver des modes de diffusion et de communication », explique-t-elle.


Un phénomène qui s’explique en partie par l’arrivée du mode de consommation de masse issu des Trente Glorieuses. « Sa massification, engagée au XIXe siècle, a attiré des modes de distribution généralistes (aujourd’hui hypermarchés, grandes surfaces à vocation culturelle, vente par correspondance, etc.), qui imposent de nouvelles lois. Moins le livre est cher à produire, plus il y a inflation de titres, plus il faut de place (de "linéaire") ou de moyens pour les présenter et espérer les vendre. Cette évolution joue à terme en défaveur de la librairie traditionnelle, qui, en quinze ans, a déjà perdu 20 % de la diffusion du livre, en dépit de la loi Lang », explique Jean-Dominique Mellot.


Vers la fin du XXe siècle, cet écart se creuse un peu plus avec l’arrivée d’Internet et l’ère du numérique. Outre la multiplication et la démocratisation des grandes surfaces, le numérique saborde la librairie. Ainsi, l’arrivée d’Amazon a, dans un premier temps, plombé le marché du livre. Déstabilisées par la crise du Covid-19, les librairies n’ont pu recevoir de clients, qui se sont naturellement tournés vers les plateformes de vente en ligne telles qu’Amazon ou Cdiscount. Les libraires deviennent les victimes de leur passion : la vente de livres.


Différence de générations et ère du numérique, sources de faillite


Pour Pascale Gérard, le problème peut aussi venir des différences entre générations. « Les parents d’il y a une ou deux générations, avant le numérique, n’ont pas vécu avec les écrans, ils ne connaissaient que le livre, qui était alors la source la plus fiable et la plus importante de divertissement et d’accès à la connaissance. Aujourd’hui, je le vois tous les jours, les enfants sont de moins en moins nombreux à acheter des livres. Je pense que c’est en raison de l’éducation des parents. Issus de générations post numérique, ils ont pris l’habitude de lire sur le web ou de privilégier le divertissement via les écrans plutôt que via la lecture », affirme-t-elle.


Les librairies sont les victimes des aléas de la société. Ère du numérique, crise du Covid-19, contexte politique instable, Jeux Olympiques... À chaque fois, le commerce de proximité qu’est la librairie en pâtit, y compris lorsque le pouvoir d’achat est faible, en raison des guerres et autres conflits. « On le voit tous les jours, le volume lui reste constant, mais le prix de ce volume diminue. Je pense qu’il y a un effet lié au pouvoir d’achat : là où on achetait des livres pour 25 euros, on achète maintenant des livres de poche pour dix euros de moins. Cela peut paraître peu, mais pour la caisse, cela fait mal », déplore Pascale Gérard.

Certes, le milieu est complexe.


Rien qu’en regardant les chiffres, selon le syndicat des librairies, les marges de ces dernières (résultat net et recettes) étaient seulement de 1 %. Autre chiffre qui pose question : le fait que les librairies ne représentent que 40 % des parts de marché du livre et que seulement 33 à 35 % de remises sont accordées aux librairies par les maisons d’édition.


Alors rassurez-vous, il n’est pas question pour le moment que les librairies disparaissent. Comme l’explique Jean-Dominique Mellot : « Au-delà du mirage culturel et de l’imaginaire littéraire (dont Henri Desmars rappelle en conclusion qu’ils ne contribuent pas peu à encombrer la profession), il est tentant de pronostiquer au terme de ces débats que le libraire a encore de beaux jours devant lui. Notre époque, en suscitant au livre la concurrence de nouveaux supports, en faisant reculer son caractère familier tout en étendant sa "surface universitaire", restitue pour ainsi dire au libraire ses missions les plus "nobles" : celles d’introduire à la culture et au plaisir livresques, de guider face à l’empilement des titres, de prestataire de services personnalisés (encore sous-développés), de catalyseur indispensable entre une production quantifiée et une appropriation qualifiée. Toutes missions que le lecteur-consommateur trouvera difficilement remplies dans l’anonymat des grandes surfaces ou des catalogues de vente par correspondance, ou encore dans la partialité de la publicité, comme dans la confidentialité des écrins bibliomaniaques. »


« Chercher la clientèle », une solution au problème


Pascale Gérard, elle, est propriétaire du "Mokiroule", une librairie ambulante qui traverse le nord de l’Ardèche depuis Saint-Laurent-du-Pape. « En fait, cela ne m’a pas trop changée de transformer un camion en librairie. C’était plutôt logique, ayant déjà travaillé auparavant avec un camion. » Plus qu’une passion, une volonté de permettre à chacun d’acheter un livre en desservant plusieurs communes du nord de l’Ardèche. « En fait, j’étais face à un constat : il n’y avait pas de librairie dans ma ville, Saint-Laurent-du-Pape, et donc j’ai décidé de monter ce projet de librairie ambulante pour desservir et proposer l’achat de livres dans des villages où il faut parfois faire des kilomètres pour aller chercher un livre », explique-t-elle.

Prévenons aussi qu’un grand nombre d’études sont parues sur les bienfaits de la lecture, alors que les méfaits des écrans sont présentés comme dangereux depuis plusieurs années. Nous vous conseillons donc deux livres : La Fabrique du crétin digital, un ouvrage captivant et très formateur de Michel Desmurget. Le second est, bien sûr, la réponse à ce problème du « crétin digital », intitulé : Faites-les lire, un livre destiné aux parents.


Les sources de l'enquête





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