REPORTAGE : Sur les traces du moulinage de la Chine à l'Ardèche.
- La rédaction du Vivarais
- 19 juil. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept. 2024
Avec la saison estivale, vous avez peut-être décidé de rester sur le territoire français. Eh bien, dans ce reportage, nous vous proposons de retracer la route du moulinage en suivant celle de la soie. Pour ce faire, nous nous rendons en Ardèche, sur les rives de la rivière Ardèche.
Notre périple débute sur les bords de la rivière Ardèche, à Chirols, un petit village sur la rive droite. Nous y faisons la connaissance d’Yves Paganelli, un ancien professeur d’histoire-géographie, mais surtout maire de la commune de Chirols et directeur de l’Écomusée de Chirols.
« Lorsque j’ai pris la tête de la commune de Chirols en tant que maire, je me suis demandé ce qu’était ce bâtiment », montre-t-il d’un geste de la main, désignant la façade du musée, un rectangle de pierre, percé de fenêtres et encadré par deux tours rondes. « Alors, un de mes conseillers m’a dit qu’il s’agissait du moulinage du village et qu’il y avait 126 jeunes filles qui y travaillaient toujours. Alors, je me suis dit qu’il fallait que j’en sache un peu plus sur cette histoire passionnante qu’est l’art du moulinage », affirme-t-il. « Ces tours rondes ont la particularité d’avoir été construites lorsque la noblesse et ses privilèges ont été abolis. Cependant, ce sont les bourgeois qui se sont petit à petit approprié l’endroit. Ces deux tours témoignent donc d’une richesse assez importante de la famille bourgeoise. Il faut savoir qu’à mon arrivée, le moulinage était encore actif, c’est d’ailleurs comme cela que j’ai découvert ce processus », ajoute-t-il.
Nous nous enfonçons dans le musée pour déboucher dans une salle où sont exposés divers objets servant au moulinage. « Le moulinage consiste en fait à rendre le fil de soie plus dur, moins fragile. Pour cela, on va le passer de bobine en bobine. Certaines sont à l’horizontale, d’autres à la verticale. Et donc, par action mécanique, le fil va se renforcer. »
Aux origines de la soie, son trajet, de la Chine à l’Ardèche
La soie est issue du ver à soie. Ce ver se nourrit de feuilles de mûrier. Celui-ci, lorsqu’il se reproduit, meurt. C’est donc la femelle qui va créer un cocon pour le futur ver. C’est en fait ce cocon qui sert à la fabrication de la soie. « Ils peuvent faire des fils jusqu’à un kilomètre deux cents pour les plus longs. Bien sûr, on n’utilise pas le fil tel qu’il est, il faut tout un processus. » Comme l’explique Yves Paganelli, le processus de création du fil de soie est découvert vers 2500 avant J.-C. « C’est une princesse de Chine qui, par hasard, en prenant son thé, fait tomber un cocon de ver à soie dans sa tasse, et elle remarque très vite qu’au contact de la chaleur, le cocon se désagrège, laissant apparaître un fil très fin. Une idée germe alors dans sa tête : elle vient de découvrir la soie. Et un processus va se poursuivre au fil des années et se transporter jusque chez nous », enchaîne-t-il.
Le moulinage n’est qu’une partie du processus de fabrication de la soie. Il s’inscrit dans des étapes aux côtés du tissage, entre autres.
« Le trajet de la soie commence donc en Chine, où l’on exploite cette matière via notamment les fameuses “routes de la soie”. Ils ont très vite compris qu’ils pouvaient tirer profit de cette matière. Et c’est donc durant des siècles qu’ils ont conservé égoïstement leur fantastique et précieux processus de production. Jusqu’au jour où les Byzantins, désireux de découvrir ce secret, décident d’envoyer en Chine des espions, qui sont en réalité des moines ! Et vous savez ce qu’on dit, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. En vagabondant et en questionnant les fabricants chinois, ces moines sont petit à petit parvenus à découvrir puis à reproduire, lors de leur retour à Byzance, le précieux processus de production de cette matière résistante et moderne », décrit-il.
Le processus est désormais connu des Byzantins et de leur empire, qui va très vite participer à ce commerce. Puis, il passe de Byzance à l’Italie, notamment dans la région du Piémont et de la Toscane, pour finalement arriver en France. « La soie arrive en France par Lyon, qui est alors un centre commercial important. La ville va d’ailleurs rester pendant longtemps un monopole de la soie sur le territoire. Puis, la soie arrive dans le Vivarais, l’ancien nom de l’Ardèche. Et donc, au bord de l’eau, des rivières, on va voir sortir de terre des usines qu’on appellera des "moulinages", comme celui dans lequel nous sommes aujourd’hui », explique Yves Paganelli. C’est ce long processus qui va faire vivre la région ardéchoise pendant de nombreuses années.
Le moulinage, un lieu de production et de vie sociale
Au début du 20ᵉ siècle, l’Ardèche est le premier département français pour le moulinage. « Depuis les années 1990-2000, la concurrence étrangère a fait fermer de nombreuses usines et une quantité de moulinages ont été reconvertis en gîtes ou salles polyvalentes. Un seul tente de conserver la mémoire et de la diffuser aux générations futures », explique l’ancien professeur d’histoire.
Après nous avoir laissés dans cette salle et présenté différents outils, nous nous dirigeons vers une autre salle, où sont exposées des photos de jeunes filles âgées de 15 à 18 ans. « Le moulinage, c’était une sorte d’usine, gérée par un contremaître, qui s’occupait uniquement des machines. Seulement, pour faire fonctionner ces machines, il fallait du personnel. À cette époque, les jeunes filles étaient très recherchées, d’une part parce qu’elles étaient dans le besoin et devaient trouver de l’argent, d’autre part parce qu’il fallait une bonne vue pour repérer les éventuels défauts et voir si les fils se cassaient. Dans ce cas, il fallait remplacer le fil et donc arrêter les machines », décrit Yves Paganelli. L’autre ressource était bien sûr les orphelines. Ce sont ainsi huit orphelines qui seront accueillies au moulinage de Chirols.
Une journée de travail dans un moulinage commençait vers trois, quatre, cinq heures du matin. Elles se retrouvaient pour le déjeuner, autour d’une cuisine. « Pour manger, leurs familles leur préparaient une sorte de "Lunch Box", dans laquelle on retrouvait du fromage, des pommes de terre, du jambon, etc. »
Lors des journées de travail, les jeunes filles chantaient pour couvrir le bruit des machines. La journée se terminait au dortoir. « Alors, on dormait à plusieurs dans le lit, souvent à trois, parce qu'il fallait laisser de la place pour les machines », déclare-t-il. C’est donc lors d’intenses journées de travail que les moulinages et leur fil de soie étaient produits. Les moulinages étaient construits sur les rives des rivières. Ici, à Chirols, sur les bords de la rivière Ardèche, le moulinage tirait son énergie de l’eau, qui créait un courant électrique pour alimenter les machines.
« Là où ils ont été intelligents, le contremaître et les bâtisseurs originaux, c’est qu’en arrivant au village, ils ont demandé aux habitants le niveau de l’eau lors d'intenses et importantes crues. C’est ainsi qu’il a pu construire son établissement hors d’eau. Les vitrages bleutés, quant à eux, ont été mis en place pour éviter que la lumière ne soit trop forte et ne dégrade la soie. C’est donc pour cela qu’il fallait un endroit qui reste humide, hors d’eau mais pas hors d’air », décrit l’ancien maire de Chirols.
Un écomusée au service du patrimoine et de l’histoire
L’Écomusée est géré par l’association ACECO (association de bénévoles) en partenariat avec la communauté de communes Ardèche des Sources et Volcans, les bâtiments et le parc appartenant à la commune de Chirols. Créé en 1988, il a vite connu un réel succès. Cependant, d’importants travaux étaient nécessaires. Sa réouverture date d’août 2006, dans un espace muséographique entièrement nouveau.
« J’ai très à cœur que ce projet se poursuive. On commence à recevoir des classes qui viennent découvrir ce lieu d’histoire. Cette passionnante et incroyable aventure qu’est la fabrication de la soie. C’est aussi important de transmettre. Le moulinage témoigne d’ailleurs de la dynamique du territoire, et tout cela en étant écologique, puisqu'il utilise la force de la rivière pour produire son électricité. D’où le nom écomusée ! » nous confie Yves Paganelli.
Nous vous invitons donc à venir découvrir, si vous êtes de passage dans la région et dans le département, le moulinage de Chirols.
Pour plus d’informations :
Écomusée du Moulinage
165 Allée du Moulinage
07380 Chirols
Tél : 04 75 94 54 07
site : https://chirols.fr/ecomusee
Courriel : ecomuseechirols@gmail.com
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